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L'homme révoltant
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Brodsky




Inscrit le: 30 Jan 2015
Messages: 357
Localisation: Devant l'écran, banane !!!

MessagePosté le: 30 Nov 2015, 18:08    Sujet du message: L'homme révoltant Répondre en citant

J'étais encore attaché au palan et j'avais le cul en feu suite aux 25 coups de badine qui venaient de s'abattre sur moi lorsque soudain elle décida qu'il était temps de faire une pause.


— Ne m'en veux pas, Brodsky, mais j'ai un peu mal aux poignets à force de te dérouiller...

— Mouais... À mon avis, il y a quelque chose qui te tracasse, mon cœur.

— Mais non... Rien de grave, ne t'en fais pas.

— Ben, dis-moi...

— Ce sont mes élèves... Je dois leur demander de rédiger une dissertation, et la plupart ne sont pas capables de s'exprimer en français à l'écrit.

— Ça, c'est pas nouveau, ma puce.


Un coup de badine cingla immédiatement mes cuisses.


— Je ne suis pas ta puce !

— Ouille ! Pardon, Maîtresse, mon Amour, mon Adorée, ma Déesse... Bon, sérieusement, ça fait des années qu'on sait que les mômes ne savent plus écrire en français. Mais j'ai peut-être un truc pour te sortir de là.

— J'en doute... mais dis toujours.

— Dans ma jeunesse...

— Il y a donc fort longtemps...

— Ta gueule. Ouille ! Bon, d'accord, il y a fort longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine, alors que les forces de l'Empire construisaient l'Étoile Noire, un vieux Jedi tentait de nous enseigner la littérature. Je lui avais rendu un devoir pompeux à souhait, plein de références, qui m'avait valu un magistral 4/20. En me rendant ma copie, il m'a dit : « Y a de bonne idées dans ton devoir, mais tu écris n'importe comment. Tu devrais arrêter de faire des phrases et essayer d'écrire comme tu parles. Tu sais parler, tu sais penser, tu n'es pas trop con, tu devrais réussir quelque chose d'intéressant... »

— Tu me conseilles de demander à mes élèves d'écrire du Brodsky ?

— Sait-on jamais ? Si tu veux, tu me donnes un sujet et je te le rédige, pour voir ce que ça pourrait donner. Ouille ! Mais... qu'est-ce que j'ai dit encore ?

— Rien. C’était juste pour le plaisir de te voir te tortiller.

— Mais c'est pas juste !

— Eh bien ce sera le sujet sur lequel tu plancheras justement : la révolte a-t-elle un sens ?

— Okay... Tu veux ça pour quand ?

— Rapidement. Bon, on reprend... Il te reste encore 25 coups à recevoir avant de passer au fouet.


Voilà donc le sujet d'aujourd'hui, mes zamours. Imposé par ma prof et tortionnaire préférée. Ce qui n'étonnera personne de toute façon : tous les profs ont toujours été des tortionnaires, depuis la nuit des temps. On croit souvent que c'est la vocation qui amène des gens cultivés et sensés à faire ce genre de métier ; c'est faux : c'est une perversion de l'esprit. Tous les professeurs sont des sadiques au fond d'eux-mêmes. Mais de cela, nous reparlerons une autre fois.


Un homme qui se révolte est un homme qui dit « non », un homme qui dit « stop ! » Contrairement au révolutionnaire, il n'a pas de « plan B » ou d'autre projet à proposer au reste du monde. Il se contente de dire : « Ça suffit comme ça, on arrête tout ! » On arrête de nous exploiter, d'augmenter mes impôts, de coller des radars sur les routes, de me faire travailler 6 jours sur 7, de me parler comme on parle à une merde, de se garer sur ma place de parking, de m'infliger les matchs du PSG à la télévision, etc. Ce à quoi on lui répond habituellement : « Ferme ta gueule, crétin ! Le monde a des exigences, la société dans laquelle tu vis a des exigences, le gouvernement fait ce qu'il peut, tu n'y connais rien, tu es un asocial, et si tu continues on va te botter le cul ! »

Et la plupart du temps, ça marche. L'homme révolté remet ses petits poings dans ses poches, baisse les yeux, paie ses impôts, ses amendes, et demande pardon à son bon maître qui, compréhensif, lui donne l'adresse d'un psy spécialisé dans le dressage des animaux humains.


Sauf que, merde, foi de Brodsky, la révolte est un droit. Elle est même un devoir. Parce qu'il existe un droit et un devoir d'Humanité supérieur à toutes les lois écrites par les enfoirés qui n'ont de cesse de nous soumettre à leurs caprices ; un droit moral dont je vous propose d'examiner ici quelques exemples, le plus connu étant celui d'Antigone.


Sans vouloir faire injure aux lecteurs, je vais résumer quand même un peu l'histoire d'Antigone. Parce qu'il n'y a pas si longtemps, je me suis servi de ce mythe fondateur afin de défendre une jeune femme en Conseil de discipline. Elle risquait une sanction pour n'être pas venue travailler alors qu'elle accompagnait sa mère dans ses derniers instants. Et devinez quoi... Le président du Conseil, un cadre supérieur, bac + 22, a consulté ses fiches et a déclaré : « Je ne comprends pas à qui vus faites allusion ; je ne trouve aucune Antigone parmi la liste du personnel. » La pauvre gamine, jugée ainsi par des barbares, a donc reçu une peine de barbare. Elle a été purement et simplement virée de la boîte, le règlement intérieur faisant fi de la moralité supérieure évoquée par Sophocle. La révolte, donc bien que légitime, expose toujours à la répression organisée par les abrutis, et les abrutis ont toujours raison dans un monde d'abrutis. D'où une cause supplémentaire de révolte...


Mais revenons à Antigone (la petite maigre qui est assise là-bas et qui ne dit rien, selon Anouilh).


Donc Créon, roi de Thèbes, a interdit que l'on enterre le corps de Polynice, coupable de s'être révolté contre la cité. Son corps doit pourrir sous les murs de la ville et devenir la proie des charognards. Antigone, qui est la sœur de Polynice et la nièce de Créon, brave cet interdit. Elle sait qu'elle risque la mort... et c'est bien le sort qui lui sera réservé.


Contre les lois écrites de la cité, elle a tenté de faire valoir celles non écrites des dieux, de la famille, et de l'Honneur. Résultat : elle est devenue un exemple pour tous ceux qui pensent et qui font du devoir d'Humanité un principe indestructible, et elle a été mise à mort par le roi et tout ce qu'un État peut engendrer de connards.

Force est de constater que plus de 2000 ans après, rien n'a changé... Ce qui peut nous amener à penser que, finalement, toute révolte ne sert à rien, sauf à pouvoir se regarder dans la glace lorsqu'on se brosse les dents le matin.


Autre mythe de l'Homme révolté par excellence, Spartacus.


Voilà un homme réduit à l'esclavage, condamné à défendre sa vie comme gladiateur pour le plus grand plaisir des abrutis et des puissants. Il se révolte et emmène avec lui une petite armée de combattants qui infligera dans un premier temps quelques cuisantes défaites à Rome. Puis, prenant la mesure du danger qu'il représente pour la société, on lui enverra une véritable armée qui finira par écraser les rebelles.

Résultat : plus de 2000 ans après, l'esclavage est condamné par tous les gens qui pensent, et aboli dans la plupart des pays occidentaux. Mais ouvrons les yeux... Les salariés payés 400 euros par mois coûtent aujourd'hui moins cher à nos nouveaux maîtres qu'un gladiateur qu'il fallait nourrir et entraîner, sans compter que son propriétaire devait également s'occuper de ses obsèques. Et, tout en condamnant l'esclavage, les pays occidentaux ne passent pas moins des marchés avec des pays où celui-ci existe, et où l'on fait travailler des enfants et des prisonniers afin de nourrir les actionnaires de nos grandes entreprises.


Dernier mythe que j'évoquerai ici pour vous, mes zamours, un mythe récent – voire en cours – sur lequel nos médias refusent de communiquer tant il est dérangeant pour nos sociétés mondialisées et pourtant inhumaines : le sous-commandant Marcos et l'armée zapatiste de libération.


Eh oui... Les anciens voient de quoi je parle, et les plus jeunes se frottent les yeux. « Quèsaco ? » se disent-ils... Il s'agit, mes zamours, d'une révolte qui a commencé dans les années 1980, au Chiapas, qui fut médiatisée un temps grâce au charisme infini de son leader, et qui sous la pression de nos « amis » américains et des rouleaux compresseurs de la finance internationale a été plusieurs fois trahie. Or, si Marcos a passé la main, la révolte n'est pas terminée, loin de là.


Qui est le sous-commandant Marcos ? Un prof de philo, un écrivain, un poète, dont les idées peuvent se résumer ainsi : Marcos a déclaré que l'objectif de l'EZLN n'était pas de prendre de force le pouvoir et d'imposer par le haut sa vision de la société, mais d'être des rebelles sociaux qui luttent pour une société plus juste, plus démocratique. En cela, le mouvement zapatiste constitue une critique du guévarisme et du léninisme, et de l'idée (et la pratique qui en a découlé) orthodoxe dans le marxisme qu'une révolution communiste doit se faire en premier lieu par une prise de pouvoir étatique. On peut ainsi rapprocher ces idées de la tradition anarchiste, prônant une révolution « contre » le pouvoir et non « pour » le pouvoir. La prise du pouvoir, que ce soit par la force ou l'électoralisme, perpétue le système de hiérarchie coercitive, ce que les zapatistes veulent supprimer. Il faut donc partir du bas : modifier les consciences individuelles pour arriver à un changement spontané.


Je passe sur l'histoire du mouvement et ses légitimes revendications qu'il vous appartient d'aller consulter par vous-mêmes, mes trésors. Mais il nous fallait un mythe actuel afin de rassurer les révoltés de tout poil. Oui, la révolte est encore possible dans le monde d'aujourd'hui, même si vouée la plupart du temps à l'échec.


Mais, me direz vous, si l'échec est presque toujours certain, à quoi bon la révolte ?

Pour rester un homme, pardi ! Parce que la révolte est le propre de l'homme.


Que penser de cet homme dont la police refuse d'arrêter le cambrioleur et qui, se voyant remettre une contravention pour avoir marqué un temps d'arrêt trop court à un stop sur une route déserte, ne se révolte pas ?


Que penser de ce travailleur dont on refuse de payer les heures supplémentaires et qui ne montrerait pas les dents lorsqu'on lui retire une heure de salaire pour être arrivé avec 15 minutes de retard parce que son train a été supprimé ?


Que penser de ce professeur payé avec trois mois de retard par son rectorat qui voit la banque lui compter des agios pour cause de découvert bancaire, et qui trouverait cela normal ?


Que penser de cette femme qui attend depuis trois ans un logement social et qui voit le gouvernement loger immédiatement dans sa ville des réfugiés venus d'un pays lointain sans être révoltée ?


Bref, que penser d'un peuple refusant de se révolter contre les injustices dont il serait victime en permanence ?


Si la révolte est humaine, l'homme révolté est un être humain. Et celui qui refuse cette révolte ne l'est plus. Il devient ce que j'appelle « l'homme révoltant ».


L'homme révoltant est à l'homme ce que le bœuf est au taureau. Un homme castré, physiquement, mentalement, ou socialement. Et cet homme se pare habituellement des vertus de la morale comme d'un manteau qui permettrait de recouvrir ses propres lâchetés. Ainsi nous expliquera-t-il qu'il est moral de respecter l'État, la police, le patron, qu'il faut savoir se montrer généreux, compréhensif, patient, magnanime... Antigone est à ses yeux un danger pour la cité, Spartacus est un délinquant, Marcos un terroriste, et Brodsky un fouteur de merde.


Eh bien, mes zamours, j'assume... Fouteur de merde ? Oui. Renverser la table ? J'en rêve ! Un plan B ? Sûrement pas. Un plan Q ? Faut voir... envoyez-moi vos photos.


____________________



— Tu as conscience de la note que je serai obligée de coller à l'élève qui me rendrait ce genre de copie, Brodsky ?

— Quoi ? Qu'est-ce que tu lui reproches à mon texte ?

— Ben, tout. Pas d'intro, pas de thèse, pas d'antithèse, pas de conclusion...

— Hé, poulette, faut être sérieux deux minutes. Tu ne peux pas demander à quelqu'un d'écrire sur la révolte et espérer qu'il respectera des règles à la con uniquement destinées à le contraindre dans sa tentative de création.

— Pfff... Tu es incorrigible. Heureusement que tout ça reste entre nous.

— Euh...

— Euh quoi ?

— J'ai posté ça hier sur Revebebe.

— Quoi ? Mais tu es malade !

— Ben non...

— Retire-le tout de suite.

— Impossible, ma chérie... À cette heure, tu penses bien que Jakin a déjà commencé à corriger.*

— Tu sais comment ça s'appelle, ce que tu viens de faire ?

— Une révolte ?

— Oui... Et je crois que le temps est venu pour moi de mater ta rébellion.

— J'espère bien. Si tu savais comme je t'aime... ma puce.




* Exact : texte transmis à 3 h 32, pris en correction par Jakin à 10 h 06 (note du correcteur).
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Le vieux qui lisait des livres de cul -
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Patrik




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MessagePosté le: 01 Déc 2015, 08:03    Sujet du message: Répondre en citant

Very fun !
Mia rébellion of ich : io write it nicht in französisch idioma ! Very Happy
_________________
Patrik - Avec amour et humour...
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